1 - Le gouvernement affiche sa « sereine détermination »
Dans tous les conflits, y compris les conflits sociaux, les adversaires se renvoient leur propre assurance. Au stade où nous en sommes, Fillon et Raffarin se déclarent sûrs d’eux. Les exemples historiques sont nombreux où des ministres se montraient aussi déterminés (et « droits dans leurs bottes » comme Juppé pendant quelques semaines en 1995) jusqu’au jour où leur superbe s’écroule. C’est bien entendu le rapport de force, continu et croissant, qui permet de faire reculer le pouvoir.
2 - « Nous avons sauvé la répartition
C’est ce qu’affirment François Chéréque et le gouvernement. Les Français étant effectivement » attachés à la répartition « , ceux qui veulent aujourd’hui progressivement la remplacer par de la capitalisation ne le déclarent pas, bien entendu. ( » quand on veut assécher le marais, on n’avertit pas les grenouilles « - proverbe du Haut-Poitou).
En réalité, l’ » accord Chéréque - Fillon « va dans le sens de la capitalisation :
- 1er temps : on baisse le montant des pensions. C’est l’objet d’une grande partie des mesures Balladur puis Fillon : indexation des retraites sur les prix (au lieu des salaires) ; élargissement de la période de référence aux 25 meilleures années, au lieu des 10 ; revalorisation des salaires annuels portés en compte et servant pour le calcul de la retraite effectuée sur les prix au lieu du salaire moyen.
- 2éme temps : on encourage ceux qui en ont les moyens à avoir recours à la capitalisation pour compléter leur retraite. C’est l’objet du discours gouvernemental et patronal sur la » liberté « qui doit être donnée à chacun de se constituer une retraite complémentaire » s’il le veut « (en oubliant de dire » s’il le peut « ).
C’est le rôle des publicités commerciales des banques et des assurances sur les différents systèmes de capitalisation qui avancent, souvent masqués, sous d’autres noms.
- 3éme temps : on met en place des exonérations fiscales et sociales nouvelles pour faire en sorte que la minorité qui le peut engage une partie de ses revenus, de fait, sur les marchés financiers. Le projet de loi comporte un titre V intitulé » dispositions relatives à l’épargne retraite « qui va même plus loin en programmant plus ou moins l’institution de fonds de pension obligatoires :
tous les salariés travaillant dans une entreprise qui aura signé un accord collectif, avec les seules Cfdt et Cgc par exemple, subiront un prélèvement sur leur salaire qui financera » l’épargne salariale « - mais ces fonds seront ensuite, bien entendu, placés sur les marchés financiers, et subiront donc les aléas inhérents à ces marchés. Ainsi, au lieu de subir éventuellement une augmentation de leur cotisation le moment venu pour financer une répartition devenue en déséquilibre, les salariés subiraient obligatoirement, dès demain, un prélèvement sur leur salaire qui serait placé en Bourse, avec le risque de tout perdre !
- 4éme temps : par ailleurs, les exonérations fiscales sapent les sources de financement de la retraite des fonctionnaires (réduction du budget de l’Etat) et les exonérations sociales sapent celles de la répartition des salariés du privé. Le processus est alors engagé : la capitalisation » cannibalise « la répartition.
3 - » Il n’y a pas d’autres solutions. Les manifestants ne présentent aucune alternative «
Avec l’accélération du » libéralisme triomphant « , les gouvernements qui le portent commencent par vanter les mérites des » réformes « (et tous ceux qui sont contre les réformes sont des archaïques, des ringards…).
Et ensuite, ils affirment toujours que la réforme qu’ils présentent est la seule possible. A ce jour, les ministres » font comme si « ceux qui s’opposent à leur projet de contre-réforme sur les retraites n’avaient rien à dire. Certains commencent toutefois à déclarer » irréalistes « les propositions de taxation des entreprises - reconnaissant ainsi qu’il y a bien d’autres propositions.
Pour l’union syndicale-G10 Solidaires , il y a bien une alternative, qui n’est pas du tout » irréaliste".
En effet, le Conseil d’orientation des retraites, lui-même, a calculé que le maintien du niveau des retraites (ce qui correspond à l’abrogation des mesures Balladur de 1993 et à l’abandon du projet Fillon - Chéréque actuel) nécessiterait une augmentation des cotisations jusqu’en 2040 du même ordre de grandeur que ce qui a déjà été fait de 1950 à nos jours sans mettre à bas l’économie française pendant cette période.
L’augmentation des cotisations patronales serait d’ailleurs sans effet sur la compétitivité des entreprises si elle était compensée par une baisse des bénéfices redistribués sous la forme de dividendes versés aux actionnaires ou de la part dirigée vers les marchés financiers improductifs.
Globalement, l’alternative proposée par l’union syndicale-G10 Solidaires , c’est un autre partage des richesses en revenant tout simplement à la répartition des richesses telle qu’elle existait entre 1970 et 1980 (ce qui est loin d’être révolutionnaire…) : 70 % du Produit intérieur brut (PIB) pour la rémunération du travail (salaires et cotisations), au lieu des 60 % actuels et 30 % du PIB pour la rémunération du capital (intérêts, dividendes, stock-options…) au lieu des 40 % actuels.
Pour conforter dans le temps la retraite par répartition, il faut conforter l’assiette de son financement : augmentation des salaires et politique de plein emploi (suppression du chômage de masse).
Mais c’est justement ce à quoi s’oppose le Medef qui défend les revendications corporatistes de ses adhérents : augmentation des profits, qu’elles qu’en soient les conséquences économiques et sociales, et maintien d’un chômage de masse pour continuer de bénéficier d’un rapport de forces favorable sur « le marché de l’emploi ».
Hier, le combat du Medef contre une RTT créatrice d’emplois et aujourd’hui son action pour un prolongement de la durée d’activité des personnes âgées visent bien à essayer de maintenir une pression forte de demandeurs d’emploi contraints d’accepter des conditions de travail et de rémunérations dégradées.
4 - « Augmenter les prélèvements obligatoires reviendrait à pénaliser l’emploi »
C’est l’argument que servent le Medef et le Gouvernement à celles et ceux qui préconisent une augmentation des cotisations patronales ou une taxation des profits financiers, voire les deux en même temps.
C’est la reprise, sous une autre forme, d’un discours ancien : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » ! Les mêmes prétendent aussi que le capital est déjà plus taxé en France que dans les autres pays européens, qu’il y a un risque accru de fuite des capitaux vers l’étranger, et que l’augmentation des prélèvements sur les entreprises menacerait les capacités de production des entreprises. C’est un des aspects des revendications patronales sur « le coût excessif du travail » (les salaires et les cotisations sociales) et sur la nécessaire « attractivité » du territoire national ( sous-entendu : attractivité pour les capitaux, c’est-à-dire une baisse des salaires et des cotisations sociales, une baisse de l’impôt sur les sociétés et des diverses taxations éventuelles des entreprises, et une baisse de la taxation des dividendes et des profits financiers).
Il convient tout d’abord de se souvenir que l’argument de la compétitivité est pratiquement aussi vieux que le développement du capitalisme. L’impératif économique a été mis en avant par ceux qui s’opposaient à l’interdiction du travail des jeunes enfants et des femmes enceintes ; par ceux qui refusaient l’instauration d’un repos hebdomadaire, la semaine des 40 heures et la mise en place de congés payés ; et aussi, par ceux qui dénonçaient le développement d’un droit du travail protecteur de la main d’œuvre, l’instauration d’un salaire minimum garanti, la mise en place d’une taxation des bénéfices et l’établissement de cotisations sociales.
Aujourd’hui, les mêmes nous disent que la baisse du coût du travail est bénéfique pour l’économie, et donc l’emploi : elle permet de baisser les prix et donc de gagner des parts de marché à l’étranger et d’éviter d’en perdre sur le marché intérieur ; elle permettrait aussi de rétablir le taux de marge des entreprises (c’est le terme technique qui masque le terme bénéfice) et donc d’investir, ce qui va donc améliorer la compétitivité - qualité des produits français ; elle éviterait par la même occasion les délocalisations vers les pays à bas coût de main d’œuvre et serait enfin attractive pour les capitaux qui, autrement, iraient s’investir ailleurs !
Ce discours et ce raisonnement sont tenus par les patrons dans tous les pays, et leur permettent ainsi de contenir les salariés, les chômeurs et les précaires en leur imposant des reculs sociaux continuels. Pendant le même temps, ce sont les profits qui ont augmenté sur l’ensemble de la planète, la résultante globale étant une forte progression des inégalités.
En effet, le coût salarial unitaire a baissé, mais les prix n’ont pas évolué dans les mêmes proportions. La baisse du coût salarial depuis 1982 en France et en Europe n’a pas conduit à une baisse des prix, mais à une augmentation des profits. Et cette augmentation des profits n’a pas conduit à un relèvement du taux d’investissement : le freinage des salaires a beaucoup plus nourri les placements financiers que les investissements productifs. Enfin, la baisse des salaires a des conséquences négatives sur la demande intérieure, et ceci a des effets multiplicateurs au niveau de l’Union européenne, expliquant en partie la période de déflation relative actuelle.
L’Union syndicale-G10 Solidaires a également une « alternative » à ce dumping social et fiscal ininterrompu en faveur des entreprises et des capitaux et au détriment des salariés et des solidarités (sécurité sociale, services publics…).
Il s’agit d’une part de freiner la spéculation financière (taxe Tobin par exemple) et de mettre en place, dans un premier temps au niveau européen, une taxation effective et correcte tant des profits des entreprises que des rémunérations et profits de leurs propriétaires et actionnaires. L’absence d’harmonisation fiscale actuelle « oblige » chaque état membre à baisser sa fiscalité des entreprises et ses cotisations sociales pour « concurrencer » les autres états de l’union européenne. Cette non-harmonisation dans ce domaine n’est pas un hasard : elle est favorable aux capitaux !
Il est techniquement plus facile de mettre en place une taxation assez semblable des sociétés et des capitaux entre les pays membres qu’il n’a été facile de supprimer des monnaies nationales pour les remplacer par l’euro.
Il y a donc une exigence que le gouvernement français intervienne au niveau européen pour aller dans ce sens.
Dans cette attente, chaque état membre conserve malgré tout un certain nombre de possibilités, d’autant plus que l’attractivité du territoire national, y compris pour les capitaux, résulte aussi de nombreux autres éléments : qualité des infrastructures et des services publics, niveau de formation et de qualification de la main d’œuvre, importance du marché intérieur… Il est d’ores et déjà possible d’augmenter les salaires, particulièrement les plus bas, d’augmenter légèrement les cotisations patronales (0,37 % par an en moyenne selon le Conseil d’orientation des retraites), de mener une politique efficace pour l’emploi passant par la suppression des multiples exonérations fiscales et sociales actuelles…
Face à ceux qui mettent en avant le coût du travail, il nous faut dénoncer le coût du capital, avec deux arguments principaux : les salaires deviennent des pouvoirs de consommation qui participent fortement à la demande sur les marchés des biens et des services, les cotisations sociales participent à la réduction des inégalités et des tensions sociales.
Le coût du capital freine les possibilités d’investir et la forte rémunération des actionnaires participe ensuite aux spéculations financières et à l’accroissement de la bulle des capitaux économiquement stériles. La réduction, voire la suppression, des profits financiers et leur affectation aux salaires et aux retraites auraient des effets bénéfiques pour la demande.
Il faut rappeler qu’il n’y a aucun lien direct entre les profits et les investissements et entre les investissements et les emplois.
Les profits d’aujourd’hui sont les profits d’aujourd’hui (qui se font de plus en plus souvent par réduction de la masse salariale, blocage des salaires, plans sociaux et licenciements). Quand une entreprise réalise des profits, elle peut ensuite retenir plusieurs choix : mieux rémunérer ses actionnaires, augmenter ses salariés et leurs salaires (ce qui est très rare), mieux rémunérer ses dirigeants (stock options…) ou décider d’investir. Quand une entreprise décide d’investir, cela peut correspondre à plusieurs situations : de plus en plus souvent, les investissements des entreprises ne sont en fait que des rachats d’entreprises entre elles (ça ne crée aucun emploi supplémentaire, voire ça s’accompagne de plans de licenciements) ; certains investissements sont réalisés à l’étranger, ils se traduisent alors le plus souvent par des suppressions d’emplois en France ; quant aux investissements effectivement faits en France, ils ne se concrétisent pas tous par des créations d’emplois (certains procédés de fabrication, des automates… conduisent souvent à des suppressions immédiates d’emplois).
Il n’y a donc pas d’automaticité entre les profits, les investissements et les emplois. Les choix sont faits par les Conseils d’administration des sociétés et leurs actionnaires principaux (dont les fonds de pension anglo-saxons pour certaines multinationales). Les choix retenus sont donc ceux qui sont estimés être les meilleurs pour ces actionnaires.
5 - « Il n’y a que du public dans l’action, d’ailleurs le privé n’est pas concerné et encore moins les régimes spéciaux ».
Dès le départ le gouvernement a voulu manœuvrer pour éviter le « tous ensemble » de 1995 contre le plan Juppé. L’affirmation que les régimes spéciaux relevaient chacun d’un « projet d’entreprise » n’a pas tenu longtemps, après l’échec de la manœuvre à EDF-GDF. Aujourd’hui les salariés relevant des régimes spéciaux (et particulièrement ceux de la SNCF et de la RATP) ont totalement compris que le cadrage général de la loi votée leur sera ensuite appliqué, chacun à son tour. Les membres du gouvernement qui s’étonnent que les salariés de ces secteurs se soient mobilisés « alors qu’ils ne sont même pas concernés » sont les mêmes que ceux qui ne cessent de dénoncer les égoïsmes de ces salariés. La pratique très connue de « diviser pour régner » est souvent retenue par ceux qui ont le pouvoir , et ça marche encore trop souvent malheureusement.
L’Union Syndicale G10 Solidaires , sur cette revendication pour une amélioration des régimes des retraites, affirme la nécessaire unité du public et du privé, des actifs, précaires, chômeurs et retraités.
Nous pouvons gagner, tous ensemble, sinon ce seront des reculs successifs, chacun à son tour.
Le gouvernement vient d’engager une large campagne pour essayer de vendre sa réforme auprès de l’opinion publique : encarts publicitaires dans la presse écrite nationale et régionale, création d’un site Internet et d’un service d’appel en ligne. Par ailleurs, les ministères s’engagent dans une opération de communication auprès de leurs agents pour tenter de les convaincre du bien fondé de son projet de loi. Les contrevérités et les mensonges par omission sont désormais aisément reconnus par toutes celles et ceux qui sont engagés dans l’action et par l’opinion publique qui les soutient.