Rappelons que la consommation excessive de médicaments peut se révéler dangereuse pour la santé : chaque année quelques 130 000 hospitalisations sont liées à des accidents « iatrogènes », dus à la prise conjointe de médicaments incompatibles entre eux.
Les entreprises du médicament en France en 2002, c’est :
- un chiffre d’affaires de 34,4 milliards d’euros, dont 42 % à l’exportation ; la recherche et le développement représentent 12,1% de ce chiffre d’affaires.
L’industrie pharmaceutique a vu son chiffre d’affaire augmenter de 8% par an en moyenne depuis le milieu des années 90.
- le 1er producteur européen et le 3e exportateur mondial de médicaments,
- un secteur regroupant près de 100 000 personnes employées dans 300 laboratoires.
1° La mise sur le marché d’un médicament
Chaque année 4 à 500 nouveaux médicaments sont mis sur le marché français, tandis que 200 à 250 en sont retirés.
Les laboratoires pharmaceutiques qui souhaitent commercialiser un médicament doivent obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM), soit auprès de l’agence européenne pour l’évaluation des médicaments (EMEA), dont la création remonte à 1995, soit auprès d’une agence nationale d’un état membre de l’Union Européenne.
Dans ce dernier cas, la reconnaissance mutuelle est ensuite accordée par les autres états.
En France, c’est un établissement à caractère public créé en 1999, l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), qui est chargé de cette mission précédemment assurée par l’Agence française du médicament.
L’inscription auprès d’une agence nationale est la voie la plus utilisée, du fait de l’absence de contraintes (notamment aucun rapport d’évaluation n’est rendu public) et de la dépendance financière des Agences nationales vis à vis des firmes.
Les redevances pharmaceutiques, dues notamment pour les demandes d’autorisation, sont directement versées aux Agences nationales et à l’agence européenne (elles représentent 70% du budget de cette dernière) ; dans ces conditions leur indépendance est fictive.
Par ailleurs, le rattachement de l’EMEA à « la Direction Générale Entreprises » de la Commission européenne et non à la « Direction générale Santé et protection des consommateurs » est particulièrement révélateur !!
Cette situation explique les pressions exercées par les firmes pharmaceutiques auprès de Bruxelles, dans le cadre notamment de la discussion du projet de « Directive et de Règlement européen » sur le médicament.
En réaction à ces pressions un Collectif Europe et Médicament, regroupant au niveau européen des associations et organisations de professionnels de santé, de consommateurs, de malades…s’est créé en mars 2002 ; ce collectif s’est mobilisé et a entrepris un « contrelobbying » auprès du parlement européen.
Une campagne d’opinion a permis notamment de mettre en échec la volonté des firmes de libéraliser la publicité pour tous les médicaments ; les députés européens ont en effet décidé d’interdire cette possibilité pour les médicaments prescrits. Mais à tout moment cette interdiction [1] peut être remise en cause par la Commission de Bruxelles.
Actuellement, pour être mis sur le marché, le nouveau médicament doit seulement montrer qu’il a des effets thérapeutiques ; on ne lui demande pas d’être plus efficace que les médicaments existants.
2 ° Le prix du médicament
Les prix sont libres pour les médicaments d’auto-médication, les médicaments non remboursables, et les médicaments vendus à l’hôpital.
Le prix du médicament remboursable en ville est normalement fixé par une instance interministérielle, le Comité économique des produits de santé (CEPS), dans le cadre d’accords négociés avec les laboratoires. Cette procédure explique que le prix du médicament en France soit inférieur aux prix pratiqués en Allemagne ou en Angleterre.
En 2003, le gouvernement a décidé d’alléger le contrôle des prix sur les médicaments « innovants » ; il s’agit de produits en situation de monopole thérapeutique, et a priori irremplaçables. Dès qu’ils seront inscrits sur la liste des médicaments remboursables, les laboratoires pourront en fixer librement le prix, le contrôle du CEPS interviendra à posteriori.
Pour justifier cette nouvelle procédure les firmes invoquent la nécessité de commercialiser plus vite les nouveaux médicaments à un prix plus élevé pour s’aligner sur les prix pratiqués par les pays européens comme la Grande Bretagne ou l’Allemagne et éviter ainsi le commerce parallèle de médicaments dans l’Union Européenne (les prix pouvant varier considérablement d’un pays à l’autre).
Une fois de plus, les laboratoires ont su imposer leurs intérêts.
Attac dans son ouvrage « le complexe médico-industriel » indique que le prix moyen du médicament a doublé entre 1987 et 1999. Jamais les médicaments de marque n’ont coûté aussi cher, alors que le nombre de médicaments réellement innovants ne progresse pas (la trithérapie contre le sida est la seule découverte importante qui soit intervenue au cours de ces dernières années).
En 2002, le rapport du Haut conseil sur l’Assurance maladie (annexe 33) fait valoir que la structure du prix public du médicament remboursable se décompose ainsi :
- le prix fabricant : 64,22%
- la marge du grossiste : 9,7%
- la marge du pharmacien : 23,98%
- la TVA : 2,1%
Ce rapport relève que les coûts de distribution (marge des grossistes et des pharmaciens)représentent 36% des prix de vente hors taxe.
Le coût de fabrication du médicament en lui-même est peu élevé ; le coût réel de la recherche est difficile à estimer au regard des sommes dépensées notamment pour le marketing et l’administration des firmes.
3° L’accès au remboursement
La commission de transparence de l’AFSSAPS (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) évalue le service médical rendu (SMR) du nouveau produit ; celui-ci sera remboursé si le service médical rendu est jugé suffisant. Il existe 4 niveaux de SMR : majeur ou important ; modéré ; faible ; insuffisant.
Le taux de remboursement relève d’un arrêté ministériel pris après l’avis de l’AFSSAPS ; il est modulé en fonction du niveau de service médical rendu et de la gravité de la pathologie.
Aujourd’hui il existe 3 taux de remboursement : 100%, 65% ou 35%.
En 1999 le gouvernement a chargé l’AFSSAPS d’évaluer 4490 spécialités pharmaceutiques.
Au terme de cette étude le service médical rendu de 835 médicaments - soit 18,6% des produits remboursés - a été jugé insuffisant.
Pourtant il faudra attendre 2002 pour que gouvernement décide de ne plus rembourser (sur une période de 3 ans) 650 médicaments au service médical rendu insuffisant ; en août 2000 il s’était contenté de baisser le taux de remboursement de 65 à 35 % pour 150 d’entre eux.
Une première liste de 84 médicaments (les fortes pressions de l’industrie pharmaceutique sur le gouvernement expliquent certainement la faiblesse du nombre) a été arrêtée en juillet 2003.
En 2002, les remboursements de produits à SMR insuffisant ont représenté 1 milliard d’euros !!!
Les labos se sont ensuite rattrapés en partie en augmentant considérablement le prix de ces médicaments « dévignettés » (certains médicaments ont vu leur prix multiplié par … cinq).
En avril 2003 le gouvernement a décidé de réduire de 65 à 35% le taux de remboursement de 617 médicaments à Service Médical Rendu modéré et de faire subir le même sort aux médicaments homéopathiques qui pourtant n’ont jamais été évalués.
Au regard de ces décisions successives, on peut s’interroger sur la cohérence de la politique du gouvernement dans le domaine du médicament.
4° Les médicaments génériques
Il s’agit de médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public - à l’issue d’une période de 20 ans, déjà passée à 23 ans en Europe – et dont la firme, à l’origine de la découverte, n’a plus le monopole de la fabrication. Ces médicaments, qui s’avèrent être des« copies » de la molécule originale, ont une efficacité thérapeutique identique, mais ils sont vendus en moyenne 20 à 30% moins cher.
La France est encore lanterne rouge en Europe pour l’utilisation des génériques.
En février 2003, la part de marché des génériques représente :
- en volume près de 10% du total des médicaments remboursables contre 15 à 40% dans le reste de l’Europe et près de 50% aux Etats Unis ;
- 5% du chiffre d’affaires des industries du médicament.
Le marché mondial du générique est en pleine expansion : il représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 57 milliards de dollars, et on estime qu’il devrait atteindre 72 milliards de dollars en 2007.
En France, le développement des génériques repose sur deux acteurs :
- les pharmaciens qui, depuis 1999, ont un droit de substitution, c’est à dire le droit de remplacer les médicaments prescrits par des génériques ; ceci a permis de faire progresser le marché du générique de 1,7% à 3,4% du marché total. De la même manière que les laboratoires pharmaceutiques courtisent les médecins pour promouvoir leurs médicaments, les fabricants de génériques ou « génériqueurs » offrent des remises aux pharmaciens, pour imposer leurs produits. Aujourd’hui une concurrence acharnée se développe entre les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de génériques (voir annexe).
- les médecins qui, depuis juin 2002, se sont engagés à prescrire au moins 12,5% de génériques, en contrepartie de la revalorisation du tarif de leurs consultations à 20 euros.
Une première observation laisse supposer que les médecins ont respecté ce contrat.
Pour accélérer la recherche d’économies, au 1er octobre 2003 le gouvernement a fixé un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) pour les médicaments appartenant à des groupes génériques. Autrement dit, l’assuré sera remboursé par la sécurité sociale sur la base du seul prix du générique. S’il préfère acheter le médicament de marque la différence entre le prix réel et le TFR restera à sa charge.
Orientations et propositions
L’industrie pharmaceutique est la plus rentable du monde. Son taux de profit est extrêmement élevé (environ 30% en marge brute et 15% en marge nette) ; il ne peut être maintenu par les seules mises sur le marché de médicaments innovants et efficaces. Aussi cette industrie se restructure de manière à maintenir un taux de profit élevé à très court terme :
- par des orientations stratégiques sur des médicaments vedettes à très forte valeur ajoutée (blockbusters) dont le succès est assuré par des campagnes marketing très offensives. Ces produits correspondent à un mode de vie des pays riches mais répondent rarement à des problèmes de santé publique.
- et par des regroupements sous forme de fusions / acquisitions dont les effets immédiats sont la suppression de 10 à 12% des effectifs du nouveau groupe.
En 2002, dans le cadre des négociations à l’OMC, les Etats Unis, pour protéger leurs multinationales pharmaceutiques, ont interdit aux pays pauvres d’accéder aux médicaments génériques, alors que des millions de personnes y meurent chaque année faute de médicaments.
Le médicament est considéré comme une marchandise par les entreprises pharmaceutiques.
C’est la base de leur raisonnement pour définir leurs axes de recherches ou organiser leurs activités ; ainsi, l’industrie concentre ses recherches sur les maladies « rentables » (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaires, maladies du vieillissement...) et abandonne les malades des pays en développement pour des motifs d’insolvabilité. Alors que la population de ces pays représente 75% de la population mondiale, à peine 8% des dépenses pharmaceutiques y sont consacrées !!!
Plus de 1200 médicaments ont été commercialisés entre 1975 et 1997, mais seulement 13 concernaient les maladies tropicales ! Sur les 17 molécules à l’étude en 2001, 8 concernent l’impuissance, 7 l’obésité et seulement 2 traitent du paludisme.
En règle générale, les gouvernements se sont montrés particulièrement laxistes et ont laissé la politique du médicament entre les mains des industriels, plus soucieux de profits que de santé publique. Ils ont notamment eu le tort de leur abandonner le financement de la recherche.
La politique du médicament doit être recentrée et adaptée aux besoins de santé publique ; l’indépendance et la transparence doivent être privilégiées à tous les niveaux, ce qui nécessite un cadre juridique rigoureux.
- l’autorisation de mise sur le marché ne doit être donnée qu’à des produits qui, au delà des notions de qualité, de sécurité et d’efficacité doivent présenter de réels progrès thérapeutiques comparativement aux médicaments déjà existants (mais qui ne sont pas des placebos).
- en s’appuyant sur les nouvelles données scientifiques, les médicaments mis sur le marché doivent faire l’objet d’une réévaluation périodique ; si leur efficacité thérapeutique n’est plus démontrée, non seulement ils ne doivent plus être prescrits, ni pris en charge par l’assurance maladie, mais ils doivent être retirés du marché. Cela suppose, dans le même temps, de faire de l’information -indépendante - sinon de l’éducation à la consommation de médicaments, tant auprès du public que des professionnels de santé. Il est primordial d’informer et de responsabiliser les différents acteurs ;
- le gouvernement et la Sécurité Sociale doivent se montrer plus directifs vis à vis des industriels en ramenant la durée de protection des brevets de 23 à 10 ans, en contrôlant les prix des médicaments brevetés et le coût réel de la recherche. Ils doivent également exiger la fabrication de génériques et la modification du conditionnement des médicaments pour supprimer les gaspillages et diminuer les coûts ;
*- la rémunération ou la marge des pharmaciens doit être déconnectée du prix du médicament de marque (plus le prix est élevé, plus la marge est forte) ;
*- il faut rendre les agences du médicament, qu’elles soient nationales ou européenne, et les médecins indépendants des laboratoires pharmaceutiques ; aujourd’hui, l’information des prescripteurs repose entièrement sur l’industrie du médicament au travers des visiteurs médicaux et de la presse médicale (dans les mains d’un seul groupe financier et largement financée par les recettes publicitaires des groupes pharmaceutiques, à l’exception toutefois de la revue « Prescrire », totalement indépendante).
Annexe : Les officines de pharmacie
La France possède une pharmacie pour 2700 habitants, contre une pour 4700 habitants en Grande Bretagne et une pour 9000 à 10 000 habitants aux pays Bas, en Norvège et en Suède.
Entre 1980 et 2001 le nombre d’officines a augmenté de 15% tandis que le nombre de pharmaciens libéraux progressait de 37%.
Il existe en France 22 697 officines avec un chiffre d’affaires annuel moyen d’un million d’euros par pharmacie.
Aujourd’hui la marge bénéficiaire du pharmacien est plus importante sur les génériques que sur les médicaments de marque ou « princeps ».
Les génériques et les marques
Le marché du générique représente actuellement un chiffre d’affaires de 57 milliards de dollars ; on estime qu’il devrait atteindre 72 milliards en 2007. Israël (notamment le groupe Teva) est le premier fabricant mondial de génériques. En France l’association Gemme représente l’ensemble des « génériqueurs ».
En revanche, les industriels de la pharmacie sont représentées par un syndicat : le LEEM (Les Entreprises du Médicament).
L’industrie pharmaceutique
On compte en France environ 300 groupes pharmaceutiques et 12 grossistes-répartiteurs.
Le principal groupe est Sanofi-Synthélabo qui vient d’annoncer une OPA sur son concurrent Aventis (né de la fusion en 1999 entre Rhône-Poulenc et l’allemand Hoechst). Cette concentration donnerait naissance au premier groupe européen et au numéro trois mondial du secteur derrière Pfizer et GlaxoSmithKline.