Malgré les intentions affichées par le ministre Douste-Blazy, la réforme de l’assurance maladie programme le démantèlement du système de santé solidaire et sa recomposition néolibérale. Elle vise une réduction drastique des dépenses publiques de santé pour favoriser la privatisation à travers l’explosion des assurances complémentaires. La réforme structurelle poursuit la stratégie menée par le gouvernement Raffarin depuis 2002 et répond aux injonctions du Medef et des assureurs privés.
Au-delà des mesures censées améliorer les comptes de l’assurance maladie telles que l’euro par consultation, la chasse aux arrêts de travail et aux comportements prétendument abusifs, l’augmentation de la CSG des ménages frappant particulièrement les retraités, c’est bien le schéma complexe de la « gouvernance » qui va permettre le double objectif d’étatisation et de privatisation. Une Union des caisses d’assurance maladie regroupera la Cnam (la Caisse des salariés), la Canam (les artisans et commerçants) et la MSA (la Caisse du monde agricole). Elle travaillera de concert avec une Union des organismes de protection sociale complémentaire. Ces organismes de droit privé, mutuelles, assureurs, institutions de prévoyance, entreront ainsi de plain-pied dans la gestion de la nouvelle couverture maladie en pesant sur le choix des soins remboursables, les taux de remboursement et la négociation des conventions avec les professionnels de santé. Les assureurs vont même jusqu’à demander l’accès au futur « dossier médical personnel », ce qui conduirait à condamner le principe de non-sélection des risques.
Cette architecture répond aux préconisations du rapport Chadelat remis en avril 2003 à Jean-François Mattei, Répartition des interventions entre les assurances maladie obligatoire et complémentaires en matière de dépenses de santé. Un partenariat entre les deux Unions, celle des caisses et celle des assureurs complémentaires, aboutira à constituer un cahier de charges définissant les règles des contrats complémentaires de base susceptibles de bénéficier des divers avantages sociaux et fiscaux. Le crédit d’impôt, présenté par le ministre comme une amélioration sociale de la réforme pour « permettre à chacun d’accéder à une complémentaire », ne s’appliquera qu’à la complémentaire de base minimalisée, alors que les contrats et les tarifs des « surcomplémentaires » nécessaires pour être convenablement couverts seront entièrement libres. Ce crédit d’impôt, réclamé à grands cris par les mutuelles, n’aidera qu’à souscrire des complémentaires facultatives et privées, tandis que les fonds sociaux feront défaut à la couverture de base obligatoire.
Concernant l’assurance maladie obligatoire, la « gouvernance » affûte les instruments d’une maîtrise comptable particulièrement radicale. Une haute autorité de santé de douze membres, nommés par les instances de l’Etat, définira le « périmètre de soins et de biens remboursables » par l’assurance maladie obligatoire. Cette expression utilisée par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie cache la notion d’un « panier de soins » limités qui définit a contrario ce qui sera livré à l’élargissement du marché pour les assureurs. La haute autorité édictera et diffusera des règles de bon usage des soins sur le principe d’un coût de traitement normalisé par pathologie, en clair ce qu’il serait « légitime » de maintenir dans l’assurance maladie socialisée. Elle participera aussi à un ensemble de mesures coercitives comme les protocoles de soins pour les malades en affections de longue durée. Le non-respect des protocoles, comme les prétendus abus conduiront à des sanctions pour les patients (baisses du taux de remboursement) comme pour les médecins.
Le directeur de l’Union des caisses, nommé par l’Etat, aura la tutelle sur l’ensemble du dispositif. Certes un conseil d’orientation de l’Union pourra transmettre ses propositions, mais son rôle restera limité et coiffé à un bout par l’étatisation et, à l’autre, par la gestion conjointe avec le patronat et les complémentaires. En outre, un comité d’alerte sur les dépenses fera office de gendarme financier en cas de « dérapage » des dépenses, jusqu’à contraindre les caisses à réduire les taux de remboursement afin d’ajuster les dépenses aux recettes. Cette « gouvernance » organise la réduction massive des dépenses publiques de santé, poussant à la montée du privé et à la mise en cause du statut public de l’hôpital à travers le plan Hôpital 2007.
Parmi les mesures prévues pour « responsabiliser » les usagers, en premier lieu, l’inscription sera obligatoire auprès d’un médecin traitant, si bien qu’en consulter un autre supposera un remboursement minoré, voire nul. En second lieu, l’avis préalable du médecin traitant sera nécessaire pour consulter un spécialiste en étant remboursé (sauf pour les pédiatres et les gynécologues). Quant aux spécialistes, ils ont la promesse de pouvoir pratiquer des honoraires libres. C’est donc une sélection par l’argent qui s’opérera, le choix des praticiens devenant fonction du revenu des patients et du type d’assurance surcomplémentaire souscrite. Cet ensemble de dispositions restrictives préfigure le développement de filières de soins contrôlées par les assureurs, phénomène inhérent à la privatisation et particulièrement inégalitaire et inefficace.
A l’opposé des mesures régressives du plan de Douste-Blazy, des réformes audacieuses viseraient à promouvoir les principes de solidarité du système. Le vieillissement de la population, l’accès de tous aux progrès médicaux, les nouveaux besoins de santé imposent un développement des dépenses de santé. Il s’agirait de relever les taux de remboursement de la couverture de base (très bas en France contrairement à ce qui est prétendu) pour aller vers la prise en charge complète des soins, comme de s’attaquer aux inégalités sociales et régionales, exacerbées en raison d’une démographie médicale sinistrée. L’assurance maladie doit cesser d’être la « vache à lait » de l’industrie pharmaceutique, principale source de la hausse des dépenses de santé, ce qui implique de la placer sous un contrôle public et social afin de définir une politique du médicament. Il faut sortir l’hôpital public de la politique de rationnement comptable aggravée par le plan Hôpital 2007.
Un plan d’urgence emploi-formation des personnels de santé, à l’hôpital comme pour les soins de ville, est incontournable. Il conviendrait de promouvoir des formes d’accès aux soins émancipées du paiement à l’acte et plus coordonnées et de réorienter le système vers la prévention, notamment la prévention de la santé au travail. Ceci pose avec force la question du financement. Le débat sur une réforme alternative du financement visant à dégager de nouvelles ressources reste interdit. La CSG est un prélèvement inéquitable et inefficace, alors que les revenus financiers des entreprises et des institutions financières échappent à tout prélèvement social. Le principe de la cotisation sociale liée à l’entreprise doit être défendu, car elle est le lieu où se créent les richesses, la croissance réelle et l’emploi. Les entreprises bénéficient d’une main-d’œuvre en bonne santé comme facteur de productivité du travail.
Il s’agirait d’abord de relever la part des salaires dans la valeur ajoutée, source de rentrées de cotisations, et de soumettre les revenus financiers des entreprises au taux de cotisation patronale à l’assurance maladie, cette seule mesure représentant 20 milliards d’euros par an. Au-delà, une refonte du financement permettrait d’accroître de manière durable les rentrées de cotisations par une modulation du taux de cotisation patronale, en faisant contribuer à un taux élevé les entreprises qui licencient et compriment les salaires, alors que celles qui développent l’emploi, les salaires et la formation se verraient appliquer un taux de cotisation plus bas, mais sur une masse salariale élargie.
Face à cette « contre-réforme » libérale, des comités de défense de la Sécurité sociale se sont constitués un peu partout en France et les appels contre la privatisation se multiplient. Le débat parlementaire doit devenir une occasion pour toutes les forces alternatives d’organiser enfin dans le pays les grands débats publics pour une autre réforme.
Par Catherine Mills
et José Caudron
membres de la fondation Copernic
Dernier ouvrage paru de Catherine Mills et José Caudron : Main basse sur l’assurance maladie, aux éditions Syllepse.