Contrevérités !
La publication du 8e rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) à la mi avril a donné lieu à un déchainement médiatique où la mauvaise foi côtoyait les lectures approximatives et le catastrophisme.
L’objectif de ce déchainement était clairement assumé par la plupart des commentateurs. Il fallait montrer que le système court à la faillite et qu’il serait impossible, dans l’avenir, de financer les retraites. Ainsi étaient, par avance, justifiées les mesures que le gouvernement s’apprête à prendre : report de l’âge légal de départ à la retraite, nouvel allongement de la durée de cotisation, remise en cause de la retraite des fonctionnaires. Nul doute que ces présentations apocalyptiques vont se poursuivre dans l’avenir.
Cependant, pour tous ceux qui ont pris la peine de le lire attentivement, ce rapport démontre la possibilité d’éviter des mesures socialement régressives... à condition de bien vouloir augmenter les recettes des régimes de retraites, solution aussitôt refusée par le ministre du Travail.
Alors même qu’il se base sur une hypothèse du taux d’emploi des femmes très régressive, le COR montre pourtant que, dans le pire des scénarios envisagés à l’horizon 2050, il faudrait 10,4 points de cotisations supplémentaires à lisser sur 40 ans. Cela correspond à une augmentation de 0,26 point par an. Qui peut honnêtement penser qu’une telle augmentation serait un danger pour l’économie française ?
Une vision catastrophique est d’autant moins fondée qu’un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée, la richesse créée dans les entreprises, est tout à fait envisageable. Il n’est pas acceptable de considérer comme pérenne la baisse très importante de la part des salaires ayant eu lieu ces trente dernières années (près de 9 points), alors que, dans le même temps, la productivité du travail a continué de croître fortement (plus de 50 % en 20 ans) et que les dividendes des actionnaires ont explosé.
Un tel rééquilibrage de la part des salaires, qu’une augmentation des cotisations patronales peut amorcer, aurait d’ailleurs des effets neutres sur la sacrosainte compétitivité des entreprises s’il était compensé par une baisse des dividendes versés aux actionnaires. S’attaquer aux dividendes des actionnaires, c’est le tabou qu’il faut lever !
Les retraites, premier enjeu de la sortie de crise
Comme le note le journal Les Échos (13 avril 2010), « le chef de l’État entend montrer à ses partenaires européens et aux marchés financiers qu’il s’attaque au problème de la dette. Tant pis si les retraites ne constituent qu’un aspect partiel du problème : il faut donner un signal et ne surtout pas perdre la note AAA dont bénéficie encore la France sur les marchés ». Tout cela n’a donc pas grand chose à voir avec les évolutions démographiques. Ce qui se joue à travers le dossier des retraites est la nature de la sortie de crise. Il s’agit pour le gouvernement et le patronat de la faire payer aux salariés et plus largement à la population, alors qu’ils n’en sont nullement responsables.
l’impact de la crise
Dans son rapport de janvier 2010, le Conseil d’orientation des retraites (COR) note « la dégradation très rapide des comptes en 2009-2010 s’explique ainsi principalement par la crise économique qui réduit fortement les recettes assises sur les revenus d’activité ». La très forte récession de l’année 2009 (- 2,5 %) a abouti à une réduction de la masse salariale de 2 % et donc des cotisations correspondantes. L’essentiel de l’accroissement du déficit actuel est donc dû à la crise. Rappelons que 1 % de croissance de la masse salariale en moins conduit à 650 millions d’euros de recettes en moins pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Le 8e rapport du COR en avril 2010 confirme cette analyse : « la plus grande partie de la dégradation aurait lieu en 2009 et 2010 […]. À plus long terme, les effets directs de la crise économique sur la situation financière des régimes s’estompent ». Il indique que « le déficit estimé du système serait de 1,7 point de PIB (30 milliards d’euros) dès 2010 ».
des recettes nouvelles
Des recettes nouvelles pourraient être rapidement trouvées qui permettraient de résoudre le problème. La seule exonération de cotisations sociales des stock-options coûte, selon la Cour des comptes, 3,3 milliards d’euros par an à la Sécurité sociale et, si l’on rajoute celles liées à l’intéressement et à la participation, on arrive, toujours selon la Cour des comptes, à une perte de recettes comprise, suivant les années, entre 6 et 8,3 milliards d’euros. De plus, l’État ne compense pas intégralement les exonérations de cotisations sociales liées aux mesures pour l’emploi, mesures dont on connaît par ailleurs l’inefficacité. Elles s’élèvent à près de 3 milliards d’euros par an.
On peut y rajouter celles liées au Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Rappelons que le FRR est un fonds de capitalisation créé par le gouvernement Jospin et censé permettre de lisser les besoins de financement dus aux évolutions démographiques. Comme tout fonds de capitalisation, celui-ci a subi les contrecoups de la crise financière puisqu’il a perdu 24,9 % en 2008. Il a compensé en partie cette baisse en 2009, mais reste soumis aux dérèglements des marchés financiers. Ses actifs s’élevaient fin 2009 à un peu plus de 33 milliards d’euros. Liquider le FRR serait une mesure de bon sens qui permettrait de combler immédiatement le déficit dû à la crise.
Le faux argument de la démographie
L’argument essentiel utilisé pour remettre en cause nos retraites est d’ordre démographique. Il y aurait trop de personnes âgées et pas assez de jeunes. D’une part, cet argument ne tient pas compte de la richesse produite et considère son partage actuel comme intangible. D’autre part, ce qui importe, ce n’est pas tant le nombre de retraités que le rapport entre celui-ci et le nombre de cotisants qui financent les pensions. Au-delà, cet argument a été mis à mal par les dernières projections démographiques de l’INSEE qui datent de 2006.
pas de choc démographique
Ainsi, à la fin des années 1990, l’INSEE et tous les rapports officiels sur les retraites annonçaient l’effondrement du taux de fécondité. Il n’en a rien été. Ainsi l’INSEE a reconnu que l’indice conjoncturel de fécondité, qui mesure sur une année le nombre d’enfants par femme, était de 1,9 au lieu de 1,8. Et encore ce taux ne donne pas une bonne vision de la réalité puisque le taux de descendance finale des générations est, lui, supérieur à 2. Explication de la vision faussée de l’INSEE : les femmes n’avaient pas renoncé à avoir des enfants, mais avaient décidé de les avoir à un âge plus avancé.
Conséquence, loin de l’effondrement démographique prévu, en 2050, la France compterait 70 millions d’habitants contre 64 millions pour les anciennes projections.
Ce changement a des conséquences importantes sur la population active, celle qui travaille ou est en recherche d’un emploi.
Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui d’ailleurs n’a prudemment pris dans son rapport de 2007 que les 2/3 des effets attendus des projections de l’Insee, les effets sont substantiels. La population active augmenterait jusqu’en 2015, puis se stabiliserait par la suite alors que les anciennes projections indiquaient une baisse considérable (- 2,2 millions).
les évolutions démographiques ne justifient rien
Quant au nombre de retraités, rien de dramatique. Il devrait certes, selon l’INSEE, augmenter de près de 63 % entre 2006 et 2050, essentiellement à cause du départ à la retraite de la génération du baby-boom (personnes nées entre 1945 et 1975).
Mais dès 2036, le nombre de retraités devrait diminuer car arriveront à la retraite des générations moins nombreuses que les précédentes.
De plus, l’allongement de l’espérance de vie, qui, par ailleurs, n’est pas un phénomène récent, serait moins rapide que prévu. Le COR a d’ailleurs montré que l’allongement de l’espérance de vie accroîtrait le nombre de retraités de façon relativement modeste, 3 % à l’horizon 2020 et 17 % à l’horizon 2050. Rien donc qui ne peut être collectivement maîtrisé.
En définitive, le nombre de retraités en 2050 serait donc inférieur de 650 000 aux projections antérieures.
Conclusions de tout cela. Les projections démographiques ne peuvent justifier les attaques contre nos retraites. L’avenir des retraites n’est pas fondamentalement un problème démographique.
Il est absurde de prendre aujourd’hui des mesures régressives socialement pour faire face à une situation susceptible d’intervenir d’ici quarante ans et dont personne ne sait si elle aura vraiment lieu.
2 600 milliards ?
« Sans réforme, il faudrait 2600 milliards d’euros pour sauver les retraites en 2050 » titrait le journal Le Monde (14 mars) dans un article consacré au 8e rapport du COR. Ce chiffre est censé correspondre au déficit cumulé des régimes de retraites à l’horizon 2050.
Remarquons tout d’abord que ce chiffre n’apparaît absolument pas dans le rapport du COR. Le site du Monde a dû d’ailleurs modifier l’article en indiquant qu’il s’agissait d’un chiffre venant « de sources gouvernementales ».
Au-delà, un tel chiffre n’a aucune signification. En effet, alors que les retraites en capitalisation sont considérées comme des dettes et sont inscrites dans la Comptabilité nationale selon les standards dits « d’engagements », il n’en est pas de même pour les régimes en répartition. Dans ce cas, les retraites sont comptabilisées dans la Comptabilité nationale comme des « transferts courants », le flux des cotisations finançant en continu les pensions. Il n’y a pas donc de sens à les considérer comme une dette qui s’accumulerait année après année.
Enfin, si on veut faire des comparaisons, il faudrait comparer ces 2600 milliards au PIB cumulé à l’horizon 2050, qui devrait tourner autour de 120 000 milliards d’euros !
Faisons cotiser les profits !
Même si cela n’a aucun caractère catastrophique, le nombre de retraités va indubitablement augmenter dans les prochaines décennies. Comment répondre à cette situation ? Il s’agit fondamentalement de l’accompagner d’une augmentation correspondante de la part de la richesse produite leur revenant. La part des retraites dans le PIB était de 5 % en 1950. Elle est aujourd’hui passée à 13 %.
Entre 2010 et 2050, l’effort de financement sera bien moindre comme le montre le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) d’avril 2010.
Certes, le COR entérine l’allongement de durée de cotisation prévu par la loi de 2003 - 41,5 annuités en 2020 alors même que la durée moyenne réelle validée devrait être de 38,75 -, et considère comme acquis le fait que les pensions évolueront moins vite que les salaires dans l’avenir. Mais il projette le maintien du taux de remplacement moyen à son niveau actuel (72 %), c’est-à-dire à un niveau bien supérieur à ce qui se produirait si aucun financement nouveau n’était apporté (59 % en 2050).
Dans ce cadre, dans son scénario le plus pessimiste en matière de gain de productivité et de chômage (1,5 % par an et un taux de chômage stabilisé à 7 % à partir de 2022), le besoin de financement des retraites s’élèverait à 3 points de PIB à l’horizon 2050. Cela correspond à une augmentation des cotisations de 10,4 points lissée sur 40 ans, ce qui correspond à 0,26 point par an. Personne ne peut raisonnablement dire qu’une telle augmentation poserait problème.
Le catastrophisme n’est donc pas de mise. Il est d’autant moins de mise qu’il est possible d’accompagner les évolutions démographiques par un relèvement progressif des cotisations sociales. En clair, il s’agit de faire cotiser les profits, en augmentant par exemple les cotisations patronales, et de mettre ainsi un terme à la baisse de la part salariale (environ 9 points en trente ans) dans la valeur ajoutée, la richesse créée par les salariés dans les entreprises.
Un tel rééquilibrage de la part des salaires dans la valeur ajoutée serait compensé par une baisse des dividendes versés aux actionnaires qui ont explosé ces dernières années. L’investissement productif ne serait ainsi pas pénalisé, ni donc la sacro-sainte compétitivité des entreprises. C’est d’autant plus possible que les dividendes représentaient 8,5 % du PIB en 2007 contre 3,2 % du PIB en 1982 et qu’en 2009 les entreprises du CAC 40 ont versé 35,5 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit 75 % du total de leurs bénéfices. Rappelons qu’un point de PIB correspondait en 2007 à 10 % des dividendes versés aux actionnaires des sociétés non financières. Des marges de manœuvres importantes existent donc.